Dans les amphithéâtres bondés, les bibliothèques silencieuses ou derrière les écrans d’ordinateurs, une souffrance invisible s’installe chez de nombreux étudiants. Elle n’a ni couleur ni bruit, mais elle se manifeste dans les insomnies, les crises d’angoisse, la perte de sens, le découragement permanent. Cette souffrance porte un nom : le burn-out académique. Elle est la conséquence directe d’une pression scolaire qui ne cesse de croître, alimentée par un système éducatif souvent rigide, compétitif et centré sur la performance.
La pression académique commence bien avant l’entrée dans les études supérieures. Dès l’école secondaire, les élèves sont confrontés à une logique de réussite fondée sur les notes, les classements et l’orientation précoce. Le moindre écart devient source d’inquiétude. La peur de l’échec s’installe et, avec elle, un stress chronique. Ce schéma s’intensifie à l’université ou en grande école, où l’autonomie exigée, le rythme effréné des cours, les échéances rapprochées et l’incertitude sur l’avenir professionnel viennent aggraver un sentiment de vulnérabilité.
Dans cet environnement compétitif, les étudiants intériorisent une injonction à l’excellence. Ils doivent non seulement réussir leurs examens, mais aussi effectuer des stages, obtenir des distinctions, construire un réseau, maîtriser plusieurs langues, développer des compétences transversales, et souvent travailler à côté pour financer leurs études. Loin d’être des injonctions isolées, ces exigences s’accumulent et deviennent un poids écrasant. Peu d’espaces existent pour parler des failles, des doutes, des fragilités humaines. Dans la culture universitaire, l’épuisement est parfois même valorisé comme un signe de sérieux ou d’ambition.
Le burn-out académique se manifeste alors sournoisement. D’abord par une fatigue persistante, un désintérêt croissant pour les études, une baisse de motivation. Puis, progressivement, viennent l’isolement social, les troubles du sommeil, les crises de larmes, la perte d’estime de soi. Chez certains, cela peut aller jusqu’à des troubles anxieux sévères, voire des idées noires. Ce mal-être est souvent tu, par peur d’être jugé, incompris ou vu comme faible. La culture du silence aggrave encore le phénomène, d’autant que l’accès à un accompagnement psychologique reste inégal, mal connu, ou parfois stigmatisé.
Les étudiants internationaux, les personnes issues de milieux défavorisés ou les premiers de leur famille à accéder aux études supérieures sont encore plus exposés. Pour eux, réussir n’est pas qu’un objectif personnel, c’est une responsabilité, une dette morale envers leur entourage. L’échec est perçu comme un abandon, ce qui renforce l’angoisse. Ce contexte ajoute une dimension émotionnelle complexe à la pression scolaire, qui devient alors existentielle.
Pourtant, il est urgent de reconnaître cette détresse. Elle n’est ni un caprice, ni une faiblesse individuelle, mais le symptôme d’un système qui valorise trop souvent les résultats au détriment du bien-être. Il est nécessaire que les institutions d’enseignement supérieur s’emparent pleinement de cette problématique. Cela passe par la mise en place de dispositifs de soutien psychologique accessibles, la formation des enseignants à la bienveillance pédagogique, la reconnaissance du droit à l’erreur et la valorisation des parcours atypiques. La réussite ne peut être durable si elle s’obtient au prix de la santé mentale.
Enfin, briser le tabou du burn-out étudiant suppose aussi un changement de culture. Encourager le dialogue, créer des espaces de parole libres, favoriser l’entraide plutôt que la compétition, c’est donner aux étudiants la possibilité de se sentir moins seuls. Car derrière chaque visage fermé dans un couloir de faculté se cache peut-être une souffrance muette qui ne demande qu’à être entendue.
Le mal-être des étudiants n’est pas un phénomène isolé. Il est le miroir d’une société qui confond trop souvent performance et valeur humaine. Redonner du sens à l’acte d’apprendre, replacer l’humain au cœur de l’éducation, c’est sans doute le premier pas vers une école plus juste, plus inclusive, et surtout plus humaine.